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EXPÉDITION DE LA DUCHESSE DE BERRY

Après les avoir écoutées, je le priai de me les donner à lire une seconde fois, et, en les lui rendant, je lui dis :

« Ce n’est pas la duchesse de Berry.

— Comment ! s’écria-t-il, et d’où vous vient cette idée ? »

Je ne voulus pas m’expliquer, mais je persistai dans mon assertion de façon à faire suffisamment d’impression sur monsieur de Rigny pour élever quelques doutes dans son esprit et le décider à constater l’identité de la princesse avant de l’embarquer sur la frégate.

Monsieur d’Houdetot, alors en Corse, eut l’ordre de se rendre auprès d’elle et dévoila l’erreur.

Mon petit cercle fit, dans le temps, grand honneur à ma perspicacité de l’avoir devinée. Voici tout simplement mes motifs. D’abord, malgré le peu d’égards de madame la duchesse de Berry pour les convenances, il me paraissait impossible qu’elle fût à bord, dans son propre caractère, absolument seule de femme. Je l’aurais plus volontiers soupçonnée cachée sous les vêtements d’un mousse.

Ensuite, et surtout, le capitaine du bateau à vapeur qui avait saisi le Carlo Alberto rendait, dans son procès-verbal, un compte rude et sincère de la visite du bâtiment, donnait le signalement de la princesse et parlait même de la couleur de ses yeux ; or, dans sa grossière naïveté, il n’aurait pas manqué de les dire de travers.

Je trouvais, de plus, que l’attitude, les propos, la conduite de la prisonnière manquaient d’une certaine décision, assez royale, que je savais à madame la duchesse de Berry et mon instinct se refusait à l’y reconnaître.

Cependant, tous les indices annonçaient sa présence récente à bord du Carlo Alberto, et on sut bientôt qu’il l’avait débarquée près de Marseille dans la nuit qui