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EXPÉDITION DE LA DUCHESSE DE BERRY

qui, au bout de quatre mois, ramenait le choléra bleu et les trop justes terreurs.

Paris la subit vers la fin d’août avec une grande intensité. Cette recrudescence a eu lieu partout où le choléra s’est montré, et n’a été ni mieux prévue, ni mieux expliquée que ses autres symptômes.

J’ai remarqué, pendant ces jours d’effroi, combien on parlait du choléra avec les ménagements respectueux qu’inspire toujours une puissance dont on a peur. Difficilement lui donnait-on tort. Chaque victime, tombée sous ses coups, avait assurément mérité son sort par quelque imprudence, ou bien par une organisation défectueuse.

Cela me rappelait notre empressement à trouver des motifs aux exils ordonnés par l’empereur Napoléon et la façon dont les russes expliquent les envois en Sibérie émanés du caprice de leur souverain. Nous traitions le choléra en potentat redouté. Il semble qu’on éloigne le danger de soi en accusant celui qui en souffre de l’avoir mérité par des fautes.

Voilà une longue digression, mais il faut pardonner un peu d’entraînement sur un pareil sujet. Lorsqu’il tombe sous la plume les souvenirs arrivent en foule, et, quoique bien pénibles, ils ont laissé des impressions impossibles à refouler.

Bien des générations se succéderont, j’espère, avant qu’un tel spectacle se renouvelle ; mais, elles peuvent le tenir pour certain, il n’y a rien de plus effrayant, de plus formidable, de plus solennel que l’aspect d’une ville de onze cent mille âmes pliée sous le poids d’un pareil fléau, et pourtant, tout le monde se raidissait contre l’accablement, tout le monde accomplissait les devoirs de son état.

Non seulement le Roi et sa famille demeurèrent à Paris,