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EXPÉDITION DE LA DUCHESSE DE BERRY

Si, par hasard, quelqu’un, un jour, lit ces lignes tranquillement établi au coin de son feu, on s’exagérera peut-être l’impression que nous recevions de ces morts si rapides. Nous n’avions ni le temps de nous apitoyer, ni le loisir de nous lamenter.

Une douloureuse stupeur nous dominait. Chacun était occupé à regarder dans les yeux de ses plus chers intérêts, et, il faut bien en convenir, à se tâter soi-même.

L’examen était peu favorable, tout le monde avait fort mauvaise mine et on se sentait généralement sous une influence morbide qui causait un profond malaise. Peut-être la peur y entrait-elle pour quelque chose. Je suis disposée à le croire.

Dieu sait qu’on n’avait pas de secret les uns pour les autres. Chacun rendait compte de l’état de ses entrailles, cela se qualifiait des prodromes, et les plus délicats ne s’effarouchaient ni se scandalisaient de ces étranges détails.

Je n’ai perdu personne dans ma maison ; mais, le lundi suivant ce fatal dimanche, je vis mon cocher, auquel je venais de donner un ordre, se promener à grands pas dans la cour, recherchant le soleil : il venait d’être pris.

Dix minutes après, il était entre les mains des médecins qu’on avait été quérir à l’ambulance la plus voisine, une heure ensuite à la mort, et le soir sauvé ; mais il lui a fallu bien des semaines pour se remettre.

La longueur des convalescences, pour la plus légère atteinte, constatait de l’extrême malignité du mal.

Ma belle-sœur, madame d’Osmond, pour une très faible attaque de choléra, fut six semaines sans pouvoir supporter d’autre aliment qu’une cuillerée de bouillon de poulet de trois heures en trois heures, tant l’estomac et les intestins étaient délabrés, et pourtant, lorsqu’elle