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UNE SEMAINE DE JUILLET 1830

demander le sien. J’ai vu la réponse. Elle portait qu’un seul exemplaire du Moniteur était arrivé à Saint-Cloud ; le Roi l’avait reçu et envoyé, sans l’ouvrir, à madame la duchesse de Berry.

Le maréchal avait ensuite appris que cette princesse avait rapporté ce fatal Moniteur au Roi lorsqu’il montait en voiture, s’était presque mise à ses genoux, lui avait baisé les mains en disant : « Enfin vous régnez ! mon fils vous devra sa couronne, sa mère vous en remercie. » Le Roi l’avait embrassée fort tendrement, avait mis la gazette dans sa poche et était parti pour Rambouillet sans dire un mot aux autres.

À Saint-Cloud, on ne savait ce qui se passait que par les survenants de Paris. Le maréchal, fort en peine, était venu chez lui rue de Surène, avait fait demander le Moniteur à monsieur de Fagel, le ministre de Hollande, son voisin, et il venait d’en achever la lecture lorsqu’il accourut chez moi. (J’entre dans ces détails parce qu’il est curieux de voir l’incurie avec laquelle on laissait dans l’ignorance l’homme destiné in petto à soutenir le coup d’État.)

Après ce récit, il ajouta : « Ils sont perdus. Ils ne connaissent ni le pays, ni le temps. Ils vivent en dehors du monde et du siècle. Partout ils portent leur atmosphère avec eux, on ne peut les éclairer, ni même le tenter ; c’est sans ressource !

— Mais vous êtes perdu aussi, monsieur le maréchal ! Vous allez vous trouver horriblement compromis dans tout ceci. Vous perdez par là votre seule explication pour 1814. Vous compreniez, dites-vous, qu’il fallait vous sacrifier pour obtenir au pays des institutions libérales ! Où sont-elles maintenant ? »

Le maréchal soupira profondément : « Sans doute ma position est fâcheuse, reprit-il ; mais, tout en me désolant