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EXPÉDITION DE LA DUCHESSE DE BERRY

Le duc de Maillé racontait cette scène, dont le cadre était si déplorable, de la façon la plus amusante.

J’ignore quelles influences firent reprendre à madame la duchesse de Berry le costume de son sexe ; mais elle ne conserva pas longuement celui dont le Roi et monsieur de Maillé se tenaient pour si mal édifiés.

Ceux qui accompagnaient la famille royale, dans cette incroyable retraite vers Cherbourg, remarquèrent la faveur dont monsieur de Rosambo jouissait auprès de la princesse ; mais les circonstances semblaient pouvoir excuser les privautés accordées à une personne complètement dévouée, quoique, cependant, l’étiquette fût seule, dans ces jours néfastes, à conserver ses droits.

Et, puisque j’ai occasion de parler de ce triste voyage, je veux consigner ici une petite anecdote qui est à ma connaissance spéciale, dans le seul intérêt de montrer à quel point cette étiquette enveloppait de ses petitesses nos pauvres princes.

Ils devaient dîner à Laigle, chez madame de Caudecoste fort empressée à les recevoir. Les officiers de la bouche précédaient. Tout fut mis à leur disposition. Ils demandèrent une table carrée et, comme il ne s’en trouva pas, ils scièrent une belle table d’acajou, le Roi, disaient-ils, ne devant pas manger à table ronde. Si je ne me trompe, un pareil soin, en pareil temps, en dit bien long et me paraît une excuse à nombre de reproches fréquemment répétés.

En approchant la côte d’Angleterre, madame la duchesse de Berry, que son humeur vagabonde entraînait dans tous les coins du bâtiment, éclata tout à coup en cris et en sanglots. Elle se précipita dans la cabine où se trouvaient réunis les princes et les principaux passagers, proclamant une infâme trahison du capitaine. Celui-ci, fort étonné, parvint enfin avec peine à la faire expliquer.