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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

« Maintenant, dit-il, il s’agit de prendre un parti sur la situation politique. Où avez-vous laissé le Roi ?

— Aux Tuileries, Sire, où il a été accueilli avec des transports universels.

— Comment Louis xviii est à Paris ! Apparemment que Dieu en a ainsi ordonné. Ce qui est fait est fait, il n’y a plus à s’en préoccuper ; peut-être est-ce pour le mieux. »

On comprend combien cette résignation mystique soulagea l’ambassadeur. Malgré la confiance absolue qu’il avait dans la loyauté du duc de Wellington, il ne laissait pas que d’être fort tourmenté de la façon dont l’Empereur prendrait les événements ; car, tout libéral qu’était l’autocrate, il n’oubliait pas toujours ses possessions de Sibérie lorsqu’il se croyait mal servi.

L’Empereur continua sa route et vint coucher à l’Élysée. Il ne conserva de mécontentement que contre monsieur de Talleyrand et monsieur de Metternich. L’autrichien est parvenu à en triompher ; le français y succomba peu après.

Mon oncle Édouard Dillon avait accompagné le Roi en Belgique. Il me raconta toutes les misères du départ, du voyage et du séjour à l’étranger. Monsieur et son fils, le duc de Berry, avaient laissé dans les boues d’Artois le peu de considération militaire que la pieuse discrétion des émigrés aurait voulu leur conserver. La maison du Roi avait été congédiée à Béthune avec une incurie et une dureté inouïes ; plusieurs de ses membres cependant avaient trouvé le moyen de franchir la frontière. Ils étaient venus à leurs frais et volontairement à Gand former une garde au Roi qui recevait leurs services avec aussi peu d’attention qu’aux Tuileries.

Monsieur de Bartillat, officier des gardes du corps, m’a dit qu’il avait été à Gand, qu’il y avait commandé