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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

prétendaient bien en profiter. Mais leur haine fut aveugle, car, s’ils voulaient abaisser la France, ils voulaient en même temps consolider la Restauration. Or, les humiliations de cette époque infligèrent au nouveau gouvernement une flétrissure dont il ne s’est point relevé et qui a été un des motifs de sa chute. La nation n’a jamais complètement pardonné à la famille royale les souffrances imposées par ceux qu’elle appelait ses alliés. Si on les avait qualifiés d’ennemis la rancune aurait été moins vive et moins longue.

Ce sentiment, fort excusable, était pourtant très injuste. Assurément Louis xviii ne trouvait aucune satisfaction à voir des canons prussiens braqués sur le château des Tuileries. L’aspect des manteaux blancs autrichiens, fermant l’entrée du Carrousel pendant qu’on dépouillait l’Arc de Triomphe de ses ornements, ne lui souriait point. Il ne lui était pas agréable qu’on vînt, jusque dans ses appartements, enlever les tableaux qui décoraient son palais. Mais il était forcé de supporter ces avanies et de les dévorer en silence. D’autre part, c’est à sa fermeté personnelle qu’on doit la conservation du pont d’Iéna que Blücher voulait faire sauter, et celle de la colonne de la place Vendôme que les Alliés voulaient abattre et se partager. Il fut assisté dans cette dernière occurrence par l’empereur Alexandre. Ce souverain toujours généreux, malgré son peu de goût pour la famille royale et la velléité qu’il avait conçue au commencement de la campagne de ne point l’assister à remonter sur le trône, employa cependant son influence dans la coalition à adoucir les sacrifices qu’on voulait nous imposer.

Je n’ai jamais bien su quel avait été son projet lors de la bataille de Waterloo. Peut-être n’en avait-il pas d’arrêté et se trouvait-il dans ce vague dont Pozzo avait montré les inconvénients d’une manière si piquante au prince