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PACTE DE LA SAINTE-ALLIANCE

ner (et pour moi je la crois enthousiaste de bonne foi) elle était parvenue à jouer un rôle très important. Après avoir protégé la France dans tout le cours des négociations pour la paix, elle a été la véritable promotrice de la Sainte-Alliance. Elle a accompagné l’Empereur au fameux camp de Vertus, et la déclaration que les souverains y ont signée, appelée dès lors le pacte de la Sainte-Alliance, a été rédigée par Bergasse, autre illuminé dans le même genre, sous ses yeux et par ses ordres. Les russes et les entours de l’Empereur étaient fort contrariés du ridicule qui s’attachait à ses rapports avec madame de Krüdener, et le comte de Nesselrode me reprocha, avec une sorte d’impatience, d’avoir été chez cette intrigante, comme il la qualifiait.

Au nombre de ses adeptes les plus ardents semblait être Benjamin Constant. Je dis semblait, parce qu’il a toujours été fort difficile de découvrir les véritables motifs des actions de monsieur Constant. Elle le faisait jeûner, prier, l’accablait d’austérités, au point que sa santé s’en ressentit et qu’il était horriblement changé. Sur la remarque qui lui en fut faite, madame de Krüdener répondit qu’il lui était bon de souffrir, car il avait beaucoup à expier, mais que le temps de sa probation avançait. Je ne sais si c’est précisément la voix que Benjamin cherchait à se concilier, ou s’il voulait s’assurer la protection spéciale de l’Empereur, car à cette époque sa position en France était si fausse qu’il pensait à s’expatrier.

Madame Récamier avait trouvé dans son exil la fontaine de Jouvence. Elle était revenue d’Italie, en 1814, presque aussi belle et beaucoup plus aimable que dans sa première jeunesse. Benjamin Constant la voyait familièrement depuis nombre d’années, mais tout à coup il s’enflamma pour elle d’une passion extravagante. J’ai déjà dit