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LA COMTESSE DE KRÜDENER

J’ai quelquefois pensé que monsieur de Talleyrand, se sentant trop brouillé avec l’empereur Alexandre pour espérer reprendre une influence personnelle sur lui, avait trouvé ce moyen d’en exercer. Il est certain que la comtesse de Krüdener était très favorable à la France pendant cette triste époque de 1815 ; et, quand elle avait fait passer plusieurs heures en prières à l’empereur Alexandre pour qu’un nuage découvert par elle sur l’étoile de la France s’en éloignât, quand elle lui avait demandé d’employer à cette œuvre la force de sa médiation dans le ciel, quand elle lui avait assuré que la voix l’annonçait exaucé, il était bien probable que si, à la conférence du lendemain, quelque article bien désastreux pour la France était réclamé par les autres puissances, l’Empereur, venant au secours du suppliant, appuierait ses prières mystiques du poids de sa grandeur terrestre.

Ce n’était pas exclusivement pour les affaires publiques que madame de Krüdener employait Alexandre. Voici ce qui arriva au sujet de monsieur de La Bédoyère. Sa jeune femme, comme je l’ai dit, vint supplier la comtesse de faire demander sa grâce par l’empereur Alexandre. Elle l’accueillit avec autant de bienveillance que d’émotion et promit tout ce qui lui serait permis. En conséquence, elle s’enferma dans son oratoire. L’heure se passait ; l’Empereur la trouva en larmes et dans un état affreux. Elle venait de livrer un long combat à la voix sans en obtenir la permission de présenter la requête à l’Empereur. Il ne devait prendre aucun parti dans cette affaire, hélas ! Et la sentence était d’autant plus rigoureuse que l’âme de monsieur de La Bédoyère n’était pas en état de grâce. L’exécution eut lieu.

Alors, madame de Krüdener persuada à l’Empereur qu’il lui restait un grand devoir à remplir. Il fallait employer en faveur de ce malheureux, qu’il avait fait le sacrifice