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M. DE POLIGNAC FAIT PRISONNIER

lui a été fatale. Elle est toujours accompagnée d’une confiance en lui-même poussée à un degré fabuleux. Comme il joint à cette outrecuidance une grande témérité, un courage très remarquable, souvent éprouvé, rien ne l’avertit du danger ; il s’y précipite en aveugle. Mais il faut lui rendre cette justice, qu’une fois arrivé, il le considère sans faiblesse et subit les conséquences de ses fautes avec une force d’âme peu commune.

Nous fûmes consternés en le sachant prisonnier. La douceur de ses mœurs, l’urbanité de son langage le rendent fort attachant dans la vie privée. J’oubliai alors que je l’accusais toujours d’être conduit par l’ambition et de faire du prie-Dieu un marchepied pour ne plus me rappeler que l’homme facile et obligeant avec lequel j’étais liée depuis notre mutuelle enfance, et je pleurai amèrement sur son sort. Il était impossible de prévoir comment la politique de l’Empereur l’engagerait à traiter les prisonniers dans la catégorie de Jules, et lui surtout, que la Restauration avait arraché à la captivité du régime impérial, se trouvait dans un prédicament tout à part et périlleux.

Mon père se mit fort en mouvement pour se procurer de ses nouvelles ; il fut longtemps sans pouvoir y réussir. Toutefois, il obtint une déclaration de tous les ministres, résidant à Turin, qui annonçait des représailles de la part de leurs souverains si monsieur de Polignac était traité autrement qu’en prisonnier de guerre. Le cabinet sarde fut le plus récalcitrant, mais consentit enfin à signer le dernier.

Ces démarches se trouvèrent inutiles. Le maréchal Suchet se souciait peu de s’illustrer par cette conquête. Il fit mettre monsieur de Polignac au fort Barraux, lui conseilla de se tenir parfaitement tranquille et eut l’air de l’y oublier, tout en l’y faisant très bien traiter. On