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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

complet en France ; peut-être était-on un peu plus instruit en Italie. Mais l’Empereur avait beaucoup livré au hasard ou plutôt à son génie. La preuve en est que le commandant d’Antibes, sommé le premier, avait refusé d’admettre les aigles impériales. Leur vol était donc tout à fait soumis à la conduite des hommes qu’elles rencontreraient sur leur route, et la belle expression du vol de clocher en clocher, quoique justifiée par le succès, était bien hasardée. L’Empereur s’était encore une fois confié à son étoile et elle lui avait été fidèle, comme pour servir de flambeau à de plus immenses funérailles.

En arrivant à Paris, il apprit la déclaration de Vienne du 13 mars ; il subit en même temps les froideurs et les réticences de la plupart des personnes qui, dans l’ordre civil, lui avaient été le plus dévouées. Son instinct gouvernemental comprit tout de suite que ces gens-là représentaient le pays beaucoup plus que les militaires. Peut-être aurait-il été tenté de le gouverner par le sabre, si ce sabre n’avait pas dû trouver un emploi plus que suffisant dans la résistance à l’étranger. Il ne pouvait donc écraser les idées constitutionnelles, si rapidement écloses en France, qu’en lâchant le frein aux passions populaires qui, sous le nom de liberté ou de nationalité, amènent promptement la plus hideuse tyrannie.

Rendons justice à l’Empereur ; jamais homme au monde n’a eu plus l’horreur de pareils moyens. Il voulait un gouvernement absolu, mais réglé et propre à assurer l’ordre public, la tranquillité et l’honneur du pays. Dès que sa position lui fut complètement dévoilée, il désespéra de son succès, et le dégoût qu’il en conçut exerça peut-être quelque influence sur le découragement montré par lui lors de la catastrophe de Waterloo.

J’ai lieu de croire que, bien peu de jours après son arrivée aux Tuileries, il cessa de déployer l’énergie qui