Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome II 1921.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Comme, dans le même temps, on repoussait tout secours autrichien ou anglais, il restait évident qu’on espérait négocier séparément et se maintenir en position de faire valoir sa neutralité à l’Empereur, s’il réussissait à s’établir. Bubna riait beaucoup de cette politique ; il appelait le roi Victor l’Auguste allié de l’empereur Napoléon. Mon père n’était pas en situation d’en rire, mais lui aussi croyait à cette préoccupation du cabinet sarde.

Murat, ayant été battu à Occhiobello par les armées autrichiennes, cessa d’avancer, et nos arrêts furent levés. On annonça officiellement que l’arrivée de la reine de Sardaigne était remise indéfiniment ; nous retournâmes à Turin.

Avant de quitter Gênes, je veux parler de deux individus que nous y vîmes passer. Le premier était l’abbé de Janson. Ayant appris le départ de l’île d’Elbe sur la côte de Syrie, où il se trouvait pèlerin de Jérusalem, il avait été si bien servi par les vents et par son activité qu’il était arrivé à Gênes dans un temps presque incroyable. Il n’y resta que deux heures pour s’informer des événements, retroussa sa soutane, enfourcha un bidet de poste et courut joindre monsieur le duc d’Angoulême.

Cet abbé, en costume ecclésiastique, parut fort ridicule aux soldats ; mais lorsque, au combat du pont de la Drôme, on le vit allant jusque sous la mitraille relever les blessés sur ses épaules, leur porter des consolations et des secours de toute espèce, avec autant de sang-froid qu’un grenadier de la vieille garde, le curé (comme ils l’appelaient) excita leur enthousiasme au plus haut degré. L’abbé de Janson a depuis mis ce zèle au service de l’intrigue ; on ne peut que le regretter. Devenu évêque de Nancy et un des membres le plus actif de la Congréga-