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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

voir. Minerve et Thémis s’emparèrent de lui et le conduisirent sur une estrade dont les rideaux s’ouvrirent et montrèrent aux spectateurs un groupe de génies, parmi lesquels figurait une Renommée sous les traits d’une des jolies ladys Harley. Elle tenait un grand tableau. La Gloire, représentée par la princesse, plus ridiculement vêtue encore que les autres, s’avança légèrement, enleva une plume de l’aile de la Renommée et inscrivit, en grandes lettres d’or, sur le tableau qu’elle soutenait, le nom des diverses batailles où Murat s’était signalé. Le public applaudissait en pâmant de rire ; la reine de Naples haussa les épaules. Murat avait assez de bon sens pour être impatienté, mais la princesse prenait cette mascarade au sérieux comme une ovation glorieuse pour l’objet de sa passion et pour elle qui savait si dignement l’honorer. J’ai entendu faire la relation de cette soirée à lady Charlotte Campbell, celle des dames de la princesse qui l’a abandonnée la dernière. Elle pleurait de dépit en en parlant, mais son récit n’en était que plus comique. Il fallait avoir l’héroïne sous les yeux pour en apprécier pleinement le ridicule.

C’était pour tromper le chagrin que lui causait sa séparation d’avec Murat que la princesse de Galles avait inventé de faire habiller un de ses gens, qui le rappelait un peu, précisément comme lui. Ce portrait animé était Bergami, devenu célèbre depuis, et qui déjà (assurait le capitaine du bâtiment qui l’avait amené de Livourne) usurpait auprès de sa royale maîtresse tous les droits de Murat, aussi bien que son costume ; mais cela ne passait encore que pour un mauvais propos de marin.

Il fallut bien aller rendre les hommages, dus à son rang dans l’almanach, à cette princesse baladine. Elle nous détestait dans l’idée que nous étions hostiles au Roi ; elle se donna la petite joie d’être fort impertinente.