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L’ENVOYÉ DU GÉNÉRAL MARCHAND

s’avançait, il resterait derrière le Pô, en laissant le Piémont découvert. Le cabinet sarde tint bon ; il ne tarda même pas à admettre l’étrange pensée de pouvoir s’établir dans un état de neutralité vis-à-vis de Napoléon et de Murat. Les rapports avec mon père se ressentirent plus tard de cette illusion. L’ambassadeur sarde fut le seul qui ne rejoignit pas le roi Louis XVIII à Gand.

Monsieur de Château revint porteur des plus belles promesses de Masséna. Il avait vu arrêter madame Bertrand, arrivant de l’île d’Elbe, et il avait trouvé partout autant d’enthousiasme pour monsieur le duc d’Angoulême que d’indignation contre l’Empereur. Cela était vrai en Provence et dans ce moment. Des nouvelles bien différentes étaient portées sur l’aile des vents. On apprenait avec une rapidité inouïe, et par des voies inconnues, les succès et la marche rapide de Bonaparte.

Un matin, un officier français, portant la cocarde blanche, se présenta chez mon père et lui remit une dépêche du général Marchand, tellement insignifiante qu’elle ne pouvait pas avoir motivé son envoi. Il était fort agité et demandait une réponse immédiate, son général ayant fixé le moment du retour. Mon père l’engagea à s’aller reposer quelques heures. Tandis qu’il cherchait le mot de cette énigme, d’autant moins facile à deviner que le bruit s’était répandu que le général Marchand avait reconnu l’Empereur, le général Bubna entra chez lui en lui disant :

« Mon cher ambassadeur, je viens vous remercier du soin que vous prenez de payer le port de mes lettres. Je sais qu’on vous demande cinquante louis pour celle que voici. Elle est du général Bertrand qui m’écrit, par ordre de Napoléon, pour me charger d’expédier sur-le-champ par estafette ces autres dépêches à Vienne pour l’Empereur et pour Marie-Louise. Moi, qui ne suis jamais