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NAPOLÉON QUITTE L’ÎLE D’ELBE

rivages de Cannes. Combien le hasard d’une de ces fusées, en désemparant ces bâtiments, aurait pu changer le destin du monde !

Le commodore donna un élégant déjeuner sous une tente, et on se sépara très satisfaits de la matinée.

Je me rappelle que la princesse Krassalkolwitz vint achever la journée chez nous. J’étais liée avec elle depuis longtemps ; elle s’embarquait le lendemain pour Livourne. Nous causions le soir de la fadeur des événements, de l’ennui des gazettes : valait-il la peine de vivre pour attendre quinze jours un misérable protocole du congrès de Vienne ? Moitié sérieusement, moitié en plaisanterie, nous regrettions les dernières années si agitées mais si animées ; l’existence nous paraissait monotone, privée de ces grands spectacles. Ma mère reprit :

« Voilà bien des propos de jeunes femmes ; oh ! mesdames, ne tentez pas la Providence ! Quand vous serez aussi vieille que moi, vous saurez que les moments de calme, que vous avez l’enfantillage d’appeler d’ennui, ne durent jamais longtemps. »

Aussi lorsque, trois jours après, la princesse revint à Gênes, n’ayant pu débarquer à Livourne et retournant en toute hâte à Vienne, elle arriva chez nous se cachant le visage, et disant :

« Ah ! chère ambassadrice, que vous aviez raison ; je vous demande pardon de mes folies, j’en suis bien honteuse. »

J’aurais pu partager ses remords, car j’avais pris part à la faute.

Nous assistions à un concert lorsqu’on vint chercher mon père ; un courrier l’attendait ; il était expédié par le consul français à Livourne et annonçait le départ de Bonaparte de Porto-Ferraio. Mon père s’occupa tout de suite d’en donner avis. Il expédia une estafette à Vienne