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LE DOCTEUR MARSHALL

qui prouvaient, de la manière la moins douteuse, qu’il se préparait un mouvement en France et que l’empereur Napoléon comptait prochainement quitter l’île d’Elbe et l’appuyer de sa présence. Mon père, persuadé de la gravité des circonstances, pressa Marshall de faire ses communications au gouvernement français. Il se refusa a les donner à aucun ministre. Les cabinets de tous, selon lui, étaient envahis par des bonapartistes, et il craignait pour sa propre sûreté.

Monsieur de Jaucourt remplaçait par intérim monsieur de Talleyrand et ne répondait à aucune dépêche ; la correspondance se faisait par les bureaux, elle était purement officielle. Mon père n’aurait su à quel ministre adresser Marshall qui, d’ailleurs, ne consentait à remettre les pièces qu’il s’était procurées qu’au Roi lui-même. Il se vantait d’être en relations personnelles avec le prince régent ; il semblait que la grandeur de ses commettants relevât à ses yeux le métier assez peu honorable auquel il se livrait. L’importance des révélations justifiait ses exigences. Mon père lui donna une lettre pour le duc de Duras ; il fut introduit par celui-ci dans le cabinet de Louis XVIII, le 22 janvier. Le Roi fit remercier mon père du zèle qui avait procuré des renseignements si précieux ; mais ils ne donnèrent lieu à aucune précaution, pas même à celle d’envoyer une corvette croiser autour de l’île d’Elbe. L’incurie à cette époque a été au delà de ce que la crédulité de la postérité pourra consentir à se laisser persuader.

Je viens de dire que mon père n’avait pas reçu de dépêches du ministre des affaires étrangères ; j’ai tort. Il en reçut une seule, pour lui demander des truffes de Piémont pour le Roi ; elle était de quatre pages et entrait dans les détails les plus minutieux sur la manière de les expédier et les faire promptement et sûrement arriver.