Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome II 1921.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

il répondait de tout, et cela sans se donner la moindre peine. Une autre fois, il disait que, puisque la France était en appétit de constitution, il fallait lui en faire une bien large, bien satisfaisante pour les opinions les plus libérales, la lire en pleine Chambre, et puis, la posant sur la tribune, ajouter :

« Vous avez entendu la lecture de cette constitution ; elle doit vous convenir ; maintenant il faut vous en rendre dignes. Soyez sages pendant dix ans, nous la promulguerons, mais chaque mouvement révolutionnaire, quelque faible qu’il soit, retardera d’une année cet instant que nous aussi, nous appelons de tous nos vœux. » Et, en attendant Io el rey, s’écriait-il en frappant sur un grand sabre qu’il traînait après lui, car, en sa qualité d’aide de camp de Monsieur, quoiqu’il n’eût jamais vu brûler une amorce ou commandé un homme, il était le plus souvent qu’il lui était possible en uniforme.

On parlait un soir du mauvais esprit qui régnait en Dauphiné et on l’attribuait au grand nombre d’acquéreurs de biens d’émigrés :

« C’est la faute du gouvernement, reprit Jules ; j’ai proposé un moyen bien simple de remédier à cet embarras. J’en garantissais l’infaillibilité ; on ne veut pas l’employer.

— Quel est donc ce moyen ? lui demandai-je.

— J’ai offert de prendre une colonne mobile de dix mille hommes, d’aller m’établir successivement dans chaque province, d’expulser les nouveaux propriétaires et de replacer partout les anciens avec une force assez respectable pour qu’on ne pût rien espérer de la résistance. Cela se serait fait très facilement, sans le moindre bruit, et tout le monde aurait été content.

— Mais, mon cher Jules, pas les acquéreurs que vous expropriez, au moins ?