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CONSPIRATION DU BORD DE L’EAU

gardes nationales et de les remettre sous ses ordres ; le Roi en reconnaissait la nécessité mais reculait effrayé des cris qu’allait pousser Monsieur.

Il avait été, dès 1814, nommé commandant général des gardes nationaux de France. Il avait formé un état-major à son image. Des inspecteurs généraux allaient chaque trimestre faire des tournées et s’occupaient des dispositions des officiers qui tous étaient nommés par Monsieur et à sa dévotion. La plupart étaient membres de la Congrégation. Leur correspondance avec Jules de Polignac, premier inspecteur général, était journalière et sa police s’exerçait avec activité et passion.

C’était un État dans l’État, un gouvernement dans le gouvernement, une armée dans l’armée. Ce qu’à juste titre on a nommé le gouvernement occulte était alors à son apogée. L’ordonnance qui ôtait le commandement à Monsieur enlevait au parti une grande portion de son pouvoir en le privant d’une force armée aussi énorme dont il pouvait disposer et qui ne recevait d’ordres que de lui.

Jules de Polignac en apprit la nouvelle (car cela avait été tenu fort secret) par ma mère qui lui donna le Moniteur à lire. Malgré sa retenue habituelle, il fut assez peu maître de lui pour prononcer quelques mots, trouvés si coupables par ma mère qu’elle lui dit vouloir aller aussitôt les rapporter à mon père pour qu’il en donnât avis au Roi. Averti de son imprudence, il chercha à les tourner en plaisanterie ; mais ne pouvant réussir à faire prendre le change à ma mère, il eut recours à des supplications, qui allèrent jusqu’aux larmes et aux génuflexions, et obtint enfin la parole qu’elle ne répéterait pas un propos qu’il assurait n’avoir pas l’importance qu’elle voulait y donner.

Je n’ai jamais su précisément les mots. Seulement le