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APPARTEMENTS À TURIN

rieures que l’architecte avait eu bien soin de tenir ouvertes pour qu’elles fussent suffisamment légères. Le pauvre monsieur Hill avait offert de les faire vitrer à ses frais, mais la ville entière s’était révoltée contre ce trait de barbarie britannique. Pour éviter d’affronter ces passages extra-muros, il avait fini par se cantonner dans trois petites pièces en entresol, les seules échauffables. Cela était d’autant plus nécessaire que l’hiver est long et froid à Turin. J’y ai vu, pendant plusieurs semaines, le thermomètre entre dix et quinze degrés au-dessous de zéro, et les habitants ne paraissaient ni surpris ni incommodés de cette température, malgré le peu de précaution qu’ils prennent pour s’en garantir.

Le congrès de Vienne fit cadeau au roi de Sardaigne de l’État de Gênes. Malgré la part que nous avions prise à cet important accroissement de son territoire, il n’en restait pas moins ulcéré contre la France de la détention de la Savoie. Ce qu’il y a de singulier c’est que le roi Louis XVIII en était aussi fâché que lui et avait le plus sincère désir du monde de la lui rendre. Il semblait qu’il se crût le recéleur d’un bien volé. Mon père ne partageait pas la délicatesse de son souverain et tenait fort à ce que la France conservât la partie de la Savoie que les traités de 1814 lui avaient laissée.

Lorsque les députés de Gênes vinrent faire hommage de leur État au roi de Sardaigne, il leur fit donner un dîner par le comte de Valese, ministre des affaires étrangères. Le corps diplomatique, y fut invité. Ce dîner fut pendant quinze jours un objet de sollicitude pour toute la ville. On savait d’où viendrait le poisson, le gibier, les cuisiniers. Le matériel fut réuni avec des soins et des peines infinis, en ayant recours à l’obligeance des seigneurs de la Cour, et surtout des ambassadeurs. L’accord qui se trouvait entre les girandoles de celui-ci et le pla-