Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome II 1921.djvu/298

Cette page a été validée par deux contributeurs.


CHAPITRE xvi


Mort de madame de Staël. — Effet de son ouvrage sur la Révolution. — Je retourne à Londres. — Agents du parti ultra. — Présentation de la note secrète. — Le Roi ôte le commandement des gardes nationales à Monsieur. — Fureur de Jules de Polignac. — Conspiration du bord de l’eau. — Congrès d’Aix-la-Chapelle. — Le duc de Richelieu obtient la libération du territoire.

J’ai négligé de parler dans le temps de la mort de madame de Staël. Elle avait eu lieu, pendant un de mes séjours en Angleterre, à la suite d’une longue maladie qu’elle avait traînée le plus tard possible dans ce monde de Paris qu’elle appréciait si vivement. Elle y faisait peine à voir au commencement des soirées. Elle arrivait épuisée par la souffrance mais, au bout de quelque temps, l’esprit prenait complètement le dessus de l’instinct, et elle était aussi brillante que jamais, comme si elle voulait témoigner jusqu’au bout de cette inimitable supériorité qui l’a laissée sans pareille.

La dernière fois que je la vis, c’était le matin ; je partais le lendemain. Depuis quelques jours, elle ne quittait plus son sofa ; les taches livides dont son visage, ses bras, ses mains étaient couverts n’annonçaient que trop la décomposition du sang. Je sentais la pénible impression d’un adieu éternel et sa conversation ne roulait que sur des projets d’avenir. Elle était occupée de chercher une maison où sa fille, la duchesse de Broglie, grosse et prête d’accoucher, serait mieux logée.