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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

semblait, dans ses derniers jours, avoir repris la mémoire qu’il avait perdue depuis quelques années et regretter amèrement l’absence de son fils. Monsieur le duc de Bourbon conserva son nom, disant que celui de Condé était trop lourd à porter. Il s’établit au Palais-Bourbon et à Chantilly où il ne tarda pas à donner de nouveaux scandales.

Le service pour monsieur le prince de Condé à Saint-Denis fut très magnifique ; je ne me rappelle plus en quoi on dérogea aux usages, mais il y eut quelque chose de très marqué, en ce genre, pour honorer plus royalement sa mémoire. Le roi Louis XVIII affectait de lui rendre plus qu’il n’était dû à son rang, selon l’étiquette de la Cour de France, peut-être pour marquer encore plus la sévère désobligeance avec laquelle il l’imposait à monsieur le duc d’Orléans.

Je me souviens que cet enterrement fut une grande affaire à la Cour. Pendant ce temps, le public et le ministère se préoccupaient du discours. Le pas était glissant ; il s’agissait du général des émigrés. Il était difficile d’aborder ce sujet de manière à satisfaire les uns et les autres ; car, si les uns étaient au pouvoir, les autres c’était le pays.

L’abbé Frayssinous, chargé de l’oraison funèbre, s’en tira habilement. Je me rappelle entre autres une phrase qui eut grand succès. En parlant des deux camps français opposés l’un à l’autre, il dit : « La gloire était partout, le bonheur nulle part ». En résultat, le discours ne déplut absolument à aucun parti ; c’était le mieux qu’on en pût espérer.