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BAL CHEZ LE DUC DE WELLINGTON

pouls du pays pour ne pas reconnaître que la fièvre d’indépendance s’accroissait chaque jour et ferait explosion si on ne la prévenait ; mais certainement il s’unissait à toutes les intrigues pour chasser le duc de Richelieu, et c’était là un suffisant motif d’alliance.

J’eus encore, à ce bal, occasion de remarquer le peu d’obligeance de nos princes. Le duc de Wellington vint proposer à Madame, vers le milieu de la soirée, de faire le tour des salles. Il était indiqué de prendre son bras, et tout grand personnage qu’il était il en aurait été flatté. Mais Madame donna le bras à monsieur le duc de Berry, madame la duchesse de Berry à Monsieur (monsieur le duc d’Angoulême, selon son usage, était déjà parti) et le duc de Wellington fut réduit à marcher devant la troupe royale en éclaireur.

Elle arriva ainsi jusqu’à un dernier salon où Comte (le physicien) faisait des tours. Il lui fallait en ce moment un compère souffre-douleur. Il jeta son dévolu sur monsieur de Ruffo, fils du prince Castelcicala, ambassadeur de Naples, dont la figure niaise prêtait au rôle qu’il devait jouer. Il fit trouver des cartes dans ses poches, dans sa poitrine, dans ses chausses, dans ses souliers, dans sa cravate ; c’était un déluge.

Les princes riaient aux éclats, répétant de la voix qu’on leur connaît : c’est monsieur de Ruffo, c’est monsieur de Ruffo. Or, ce monsieur de Ruffo était presque de leur intimité, et pourtant, lorsque le tour fut achevé, ils quittèrent l’appartement sans lui adresser un mot de bonté, sans faire un petit compliment à Comte dont la révérence le sollicitait, enfin avec une maussaderie qui me crucifiait car j’y prenais encore un bien vif intérêt.

Peu de semaines avant, j’avais vu chez mon père, à Londres, le prince régent, qui pourtant aussi était assez grand seigneur, assister à une représentation de ce même