Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome II 1921.djvu/275

Cette page a été validée par deux contributeurs.
270
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Pendant la semaine que nous passâmes à Brighton, la même vie se renouvela chaque jour. C’était l’habitude.

Je m’y retrouvai l’année suivante avec le grand-duc, devenu depuis empereur Nicolas. Il était trop jeune pour que le Régent se gênât beaucoup pour lui. La seule différence que je remarquai, c’est qu’au lieu de laisser chacun libre de sa matinée en mettant chevaux et voitures à sa disposition, le Régent faisait arranger une partie tous les jours pour le jeune prince, à laquelle, hormis lui, tous les habitants du pavillon se réunissaient.

On visitait ainsi les lieux un peu remarquables à quinze milles à la ronde. Je me rappelle que, dans une de ces promenades, le grand-duc adressa une question à l’amiral sir Edmund Nagle que le régent avait spécialement attaché à sa personne. Celui-ci ôta son chapeau pour répondre :

« Mettez donc votre chapeau. »

Et, en disant ces mots, le grand-duc donna un petit coup de cravache au chapeau. L’amiral le tenait mal apparemment ; il lui échappa et le vent bien carabiné sur la falaise élevée de Brighton l’emporta en tourbillonnant dans un champ voisin, séparé de nous par une haie et une haute barrière devant laquelle nous étions arrêtés pour examiner un point de vue.

Avant que l’amiral, gros, court et assez âgé, eût pu descendre de cheval, l’Altesse Impériale était sautée à terre, avait deux fois franchi lestement et gracieusement la barrière et rapportait le chapeau à sir Edmund en lui adressant ses excuses. Cette prouesse de bonne grâce et de bonne compagnie donna beaucoup de popularité au grand-duc dans notre coterie de Brighton qui réunissait à cette époque le corps diplomatique presque en entier.