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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

des habitants du palais et de personnes invitées dans la ville de Brighton, très brillamment habitée pendant les mois d’hiver. Le deuil n’admettait ni bals, ni concerts. Cependant le prince avait une troupe de musiciens, sonnant du cor et jouant d’autres instruments bruyants, qui faisaient une musique enragée dans le vestibule pendant le dîner et toute la soirée. L’éloignement la rendait supportable mais très peu agréable selon moi. Le prince y prenait grand plaisir et s’associait souvent au gong pour battre la mesure.

Après le dîner, il venait des visites. Vers onze heures, le prince passait dans un salon où il y avait une espèce de petit souper froid préparé. Il n’y était suivi que par les personnes qu’il y engageait, les dames à demeure dans la maison et deux ou trois hommes de l’intimité. C’était là que le prince se mettait à son aise.

Il se plaçait sur un sopha, entre la marquise de Hertford et une autre femme à qui il voulait faire politesse, prenait et conservait le dé dans la conversation. Il savait merveilleusement toutes les aventures galantes de la Cour de Louis xvi, aussi bien que celles d’Angleterre qu’il racontait longuement. Ses récits étaient semés parfois de petits madrigaux, plus souvent de gravelures. La marquise prenait l’air digne, le prince s’en tirait par une plaisanterie qui n’était pas toujours de bien bon goût.

Somme toute, ces soirées, qui se prolongeaient jusqu’à deux ou trois heures du matin, auraient paru assommantes si un particulier en avait fait les frais ; mais le parfum de la couronne tenait toute la société éveillée et la renvoyait enchantée des grâces du prince.

Je me rappelle pourtant avoir été très intéressée un soir par une de ces causeries. Le Régent nous raconta sa dernière visite au Roi son père ; il ne l’avait pas vu depuis plusieurs années. La Reine et le duc d’York,