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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

chanteur. Ah ! oui, il sera roi où je ne serai jamais reine, souvenez-vous de ce que je vous dis en ce moment et vous verrez si Charlotte est fidèle à sa parole. »

Elle s’appelait volontiers Charlotte en parlant d’elle-même, et prononçait ce nom avec une espèce d’emphase, comme s’il avait déjà acquis la célébrité qu’elle lui destinait.

Hélas ! la pauvre princesse ! ses rêves d’amour et de gloire ont été de bien courte durée ! C’est dans cette conversation, dont la fin se tenait sous la colonnade du château où nous étions arrivées avant le reste de la société, qu’elle me dit cette phrase que j’ai déjà citée sur le bonheur parfait dont Claremont était l’asile et qu’elle m’engageait à venir souvent visiter.

Je ne l’ai jamais revue. Là se sont terminées mes relations avec la brillante et spirituelle héritière des trois royaumes.

J’avais déjà quitté l’Angleterre lorsque, peu de semaines après, la mort vint enlever en une seule heure deux générations de souverains : la jeune mère et le fils qu’elle venait de mettre au monde. Ils périrent victimes des caprices de la princesse.

Le prince Léopold avait réussi à la raccommoder avec son père le prince régent, mais toute son influence avait échoué devant l’animosité qu’elle éprouvait contre sa grand’mère et ses tantes. Dans la crainte qu’elles ne vinssent assister à ses couches, elle voulut tenir ses douleurs cachées le plus longtemps possible.

Cependant, le travail fut si pénible qu’il fallut bien qu’on en fût informé. La vieille Reine, trompée volontairement par les calculs de la princesse, était à Bath, le Régent chez la marquise d’Hertford à cent milles de Londres. La princesse n’avait auprès d’elle que son mari auquel l’accoucheur Crofft persuada qu’il n’y avait rien