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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

à cette étrange histoire, on faisait un petit sourire d’incrédulité qui me transportait de fureur. J’ai peu éprouvé d’indignation plus vive que dans cette occasion.

Ma mère était le modèle non seulement des vertus, mais des convenances et des bonnes manières. Inventer une pareille absurdité sur une femme de soixante ans, pour se venger d’un succès de son fils, m’a toujours paru une lâcheté dont, encore aujourd’hui, je ne parle pas de sang-froid.

Le prince régent fut d’une extrême bonté. Il rencontra mon père au Parc, le retint près de lui pendant toute sa promenade, s’arrêta longuement dans un groupe nombreux de seigneurs anglais à cheval et ne s’éloigna qu’après avoir donné un amical shake-hand à l’ambassadeur. Mon père s’expliqua ces faveurs inusitées en apprenant plus tard les sots bruits répandus à Paris et répétés obscurément à Londres.

Le dégoût que j’en éprouvais me donna un vif désir de m’éloigner. Le mariage de mon frère étant décidément reculé jusqu’à l’automne, je me décidai à retourner à Londres pour en attendre l’époque.

Pendant que cette odieuse histoire s’inventait et se propageait, toute la famille d’Orléans vint s’établir au Palais-Royal. Elle arriva tard le soir ; j’y allai le lendemain matin. Le déjeuner attendait les princes ; ils avaient été faire leur cour à la famille royale. Je les vis revenir, et il ne me fut pas difficile de voir que cette visite avait été pénible.

Madame la duchesse d’Orléans avait l’air triste, son mari sérieux ; mademoiselle se trouva mal en entrant dans la salle à manger. Elle venait d’être extrêmement malade et à peine remise.

Nous nous empressâmes autour d’elle ; elle revint à elle et me dit en me serrant la main :