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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

faisaient notre plus grande ressource. Le comte de Balbe était un de ces hommes distingués que j’ai signalés plus haut : des connaissances acquises et profondes en tout genre ne l’empêchaient pas d’être aimable, spirituel, gai et bon homme dans l’habitude de la vie. L’Empereur l’avait placé à la tête de l’Université. La confiance du pays l’avait nommé chef du gouvernement provisoire qui s’était formé entre le départ des français et l’arrivée du Roi. Il s’y était tellement concilié tous les suffrages qu’on n’avait pas osé l’expulser tout à fait et il était resté directeur de l’instruction publique, avec entrée au conseil où, cependant, il n’était appelé que pour les objets spéciaux, tels que les cabinets d’ornithologie. Il était fort au-dessus de la crainte puérile de montrer de la bienveillance pour nous, et nous le voyions journellement. Sa femme était française, très vive, très bonne, très amusante ; elle était cousine de monsieur de Maurepas, avait connu mes parents à Versailles et s’établit tout de suite dans notre intimité.

La famille des Cavour y était aussi entrée. Ceux-là se trouvaient trop compromis pour avoir rien à ménager ; la mère avait été dame d’honneur de la princesse Borghèse et le fils maréchal du palais et l’ami du prince. La sœur de sa femme avait épousé un français qui a certainement résolu un grand problème. Monsieur Dauzère, directeur de la police générale pendant toute l’administration française, en satisfaisant pleinement ses chefs, était parvenu à se faire tellement aimer dans le pays qu’il n’y eut qu’un cri lorsque le Roi voulut l’expulser comme les autres français employés en Piémont. Il est resté à Turin, bien avec tout le monde ; il a fini par avoir une grande influence dans le gouvernement et, depuis mon départ, j’ai entendu dire qu’il y jouait un principal rôle.