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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Messieurs de Richelieu et de Blacas avaient le droit de s’asseoir à cette table, en leur qualité de premier gentilhomme de la chambre et de premier maître de la garde-robe ; car, comme ministre et ambassadeur, ils n’y auraient pas été admis, et le Roi aurait passé dans la salle à manger sans leur dire de le suivre.

Leur audience avait eu lieu peu avant l’heure du déjeuner ; ils accompagnaient le Roi lorsqu’il entra dans le salon où les convives se trouvaient assemblés. La surprise égala le malaise en voyant monsieur de Blacas qu’on croyait à Rome. On cherchait à lire sur la figure du Roi l’accueil qu’il lui fallait faire, mais sa physionomie était impassible. La présence de monsieur de Richelieu gênait aussi ceux qui auraient voulu montrer les espérances que peut-être ils ressentaient.

Tout le monde, selon l’usage, était réuni lorsque Madame arriva précédée d’une petite chienne que monsieur de Blacas lui avait autrefois donnée ; celle-ci sauta autour de son ancien protecteur et le combla de caresses.

« Cette pauvre Thisbé, dit le Roi, je lui sais gré de si bien vous reconnaître. »

Le duc d’Havré se pencha à l’oreille de son voisin et lui dit :

« Il faut faire comme Thisbé, il n’y a pas à hésiter. »

Et monsieur de Blacas fut entouré des plus affectueuses démonstrations. Madame ne montra pas plus de surprise que le Roi, mais accueillit monsieur de Blacas avec grande bienveillance. Il y a à parier qu’elle n’ignorait pas l’intrigue qui se manœuvrait.

Monsieur le duc d’Angoulême déjeunait plus tard que le Roi, et la princesse en sortant de chez son oncle venait toujours assister à la fin de son repas où elle mangeait, toute l’année, une ou deux grappes de raisin.