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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

matière de religion, philosophe du dix-huitième siècle. Les pratiques auxquelles il s’astreignait très exactement n’étaient pour lui que de pure étiquette. Toutefois, malgré son scepticisme établi, il ne manquait pas d’une sorte de superstition. Il croyait, assez volontiers, que, si le bon Dieu existait et qu’il s’occupât de quelque chose, ce devait être sans aucun doute du chef de la maison de Bourbon.

Madame de Narbonne profita de l’accès qu’elle avait auprès de lui pour lui parler d’une certaine sœur Marthe, religieuse, et d’un cultivateur des environs de Paris, nommé Martin, qui, tous deux, avaient des visions tellement étranges par leur importance et leur similitude qu’elle se faisait un devoir d’en avertir le Roi.

Déjà, selon elle, toutes les consciences timorées étaient bouleversées par ces dénonciations de l’abîme vers lequel on s’avançait. Elle revint plusieurs fois à la charge ; le Roi consentit à voir la sœur Marthe. Bien stylée, probablement par les entours immédiats du Roi, elle lui fit des révélations intimes sur son passé, et parla comme il le fallait, pour le présent et l’avenir. Le Roi fut ébranlé.

Madame de Narbonne manda à monsieur de Blacas, alors ambassadeur à Rome, de venir sur-le-champ n’importe sous quel prétexte ; elle était autorisée à lui promettre l’appui des princes et elle ne doutait pas de son succès auprès du Roi.

En conséquence, un beau matin un valet de chambre du Roi, très dévoué à monsieur de Blacas, remit à Sa Majesté, en entrant dans sa chambre, un billet de monsieur de Blacas. Ne pouvant plus résister au besoin de son cœur, il était arrivé à Paris uniquement pour voir le Roi, le regarder, entendre sa voix, se prosterner à ses pieds et repartir, ayant fait provision de bonheur pour quelques mois.