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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Je restais persuadée de l’inopportunité de ces lectures. Toutefois, les gens qui s’y prêtaient étaient de nature à lever tous les scrupules que j’avais conçus.

Je possédais deux exemplaires de la brochure, et je trouvai qu’il n’y avait plus que de la désobligeance à les tenir enfermés. Je les prêtai donc et ne tardai pas à m’en repentir, car chaque matin je recevais vingt billets qui me les demandaient. On se faisait inscrire à tour de rôle pour les obtenir.

Aucune mystification n’a eu un succès plus complet ni plus utile à un parti. La semi-publicité ajoutait tout le prix de la mode et du fruit défendu à un ouvrage devenu une sorte de manifeste ; et les lectures faites en commun, appelant cette espèce d’électricité que les hommes réunis exercent les uns sur les autres, le rendaient d’autant plus propre à exciter toutes les passions. Je n’ai jamais assisté à une de ces représentations dans une société impérialiste ; mais, à en juger par l’effet qu’elles faisaient dans nos salons bourbonniens, on peut supposer qu’elles remuaient profondément les âmes, exaltaient toutes les haines et tous les regrets.

Le manuscrit de Sainte-Hélène restera au moins fameux dans les cabinets des bibliophiles comme contrefaçon. Il est de monsieur Bertrand de Novion qui n’a aucune autre réputation littéraire, n’a jamais vu l’Empereur de près et n’a eu de rapports avec lui que pendant les Cent-Jours.

Je sais bien que, depuis que l’auteur est connu, on a beaucoup dit qu’il était impossible de s’y méprendre ; mais, au moment où cette brochure parut, il était encore plus impossible d’élever un doute sans se faire lapider.

(Note de 1841). — Après avoir profité vingt-cinq ans du succès de cette publication et en avoir même reçu le