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SCÈNE AUX TUILERIES

Monsieur le duc de Berry se plaignit à son père et à sa belle-sœur. Ils mirent en commun leurs griefs, s’échauffèrent les uns les autres, et enfin, le soir après le dîner, Monsieur, portant la parole, les exposa durement au Roi. Le Roi répondit vivement. Madame et le duc de Berry s’en mêlèrent ; la querelle s’exalta à tel point que Monsieur dit qu’il quitterait la Cour avec ses enfants.

Le Roi répondit qu’il y avait des forteresses pour les princes rebelles. Monsieur répliqua que la charte n’admettait pas de prison d’État (car cette pauvre charte est invoquée par ceux qui l’aiment le moins) et on se quitta sur ces termes amicaux. Monsieur le duc d’Angoulême avait seul gardé un complet silence. Le respect dû au père rachetait en lui le respect dû au Roi, de façon qu’il se serait fait scrupule de donner tort ou raison à aucun des deux.

La colère une fois passée, tous furent fâchés de la violence des paroles. Le pauvre Roi pleurait le soir en en parlant à ses ministres ; mais cette scène l’avait tellement éprouvé qu’elle avait arrêté la digestion de son dîner. La goutte dans l’estomac s’y ajouta ; il pensa étouffer dans la nuit et, pendant plusieurs jours consécutifs, il fut assez mal.

Ce fut une occasion pour sa famille de lui témoigner une affection à laquelle il feignait de croire pour acquérir un peu de repos, mais dont il faisait peu d’état. Le public savait aussi bien que le Roi l’opposition des princes ; et la plaisanterie du moment était d’appeler les boules noires mises au scrutin les prunes de Monsieur.

Je m’applique à ne point parler des événements connus sur lesquels je ne sais aucun détail particulier. Ainsi je ne dirai rien de la représentation de Germanicus, tragédie de monsieur Arnault, alors proscrit de France,