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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

selon eux, s’emparer de nos places fortes, ils se plaignirent amèrement que la conclusion de l’emprunt n’amenât qu’une réduction de trente mille hommes. Voilà le langage des soi-disant amis.

L’opposition, de son côté, faisait des phrases sur ce qu’on ne devait pas expulser les étrangers avec de l’or mais avec du fer. C’étaient autant de nouveaux Camilles. Cela était assurément d’un fort beau patriotisme ; mais, hélas ! il y avait autour de nos frontières un million de Brennus tout prêts à leur répondre : Malheur aux vaincus !

À la Bourse, les mêmes gens, qui se riaient de pitié quand monsieur Corvetto avait annoncé le désir de faire un emprunt et le déclaraient impossible à aucun prix, se plaignaient de n’en être pas chargés et protestaient qu’ils l’auraient pris à des termes moins onéreux, de manière que ce succès inespéré fut tellement atténué par les haines de parti qu’il n’en resta presque rien au gouvernement du Roi.

J’en fus aussi surprise que désappointée. Depuis plusieurs mois, je voyais négocier cette affaire ; je l’avais sue faite et manquée plusieurs fois. J’avais suivi les craintes et les espérances de tous ces bons esprits, de tous ces cœurs patriotiques. Je savais les insomnies qu’ils avaient éprouvées, les anxiétés avec lesquelles on avait attendu un courrier de Berlin…, un assentiment de Vienne… Je voyais l’emprunt fait à un taux supportable par des capitalistes étrangers inspirant assez de confiance aux puissances pour qu’elles consentissent à des termes de payements qui le rendaient possible. Elles nous donnaient un témoignage immédiat de leur bonne foi en retirant trente mille hommes de l’armée d’occupation. Il était présumable, dès lors, que l’évacuation complète du territoire suivrait prochainement, et la suite l’a prouvé.