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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

trouvait pas ; puis c’était l’œuvre d’un tout jeune homme qui n’avait aucune importance personnelle ; enfin la lecture n’avait pas excité la colère du duc autant que celle de Pozzo.

Celle-ci s’était un peu apaisée pendant la nuit. Il se laissa persuader par l’éloquence du duc et consentit à ne point faire d’éclat, d’autant qu’il avait appris que le gouvernement français était indigné et désolé de cette intempestive publication. Il fut donc convenu qu’on la tiendrait pour non avenue ; tout au plus en ferait-on mention amiablement pour témoigner en avoir connaissance et n’en tenir aucun compte.

Nous nous amusâmes fort de cette espèce de proverbe. On comprend que Pozzo n’abusait pas de ces formes et qu’il en usait assez sobrement pour que le duc ne pût jamais se douter de l’empire qu’il exerçait sur lui.

Il ne faut pourtant pas croire que le duc de Wellington fût un homme nul. D’abord, il avait l’instinct de la guerre à un haut degré quoiqu’il en sût mal la théorie, et le jugement sain dans les grandes affaires quoique dépourvu de connaissances acquises. Avec peu de moralité dans quelques parties de sa conduite, il était éminemment loyal et franc, c’est-à-dire qu’il ne cherchait jamais à dissimuler sa pensée du jour, ni son engagement de la veille ; mais une fantaisie suffisait pour faire changer sa volonté du tout au tout. C’était à combattre ses fréquents caprices, à empêcher qu’ils ne dirigeassent ses actions, que le général Pozzo s’employait habilement, et souvent avec succès. Le duc l’écoutait d’autant plus volontiers qu’il le savait dans sa dépendance par l’événement de 1815 dont j’ai déjà rendu compte.

Les négociations pour l’emprunt avaient été reprises et tout était conclu ; on devait signer le lendemain. J’allai passer la soirée chez la duchesse d’Escars, aux Tuileries