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SOIRÉE CHEZ MADAME DE DURAS

de Duras. Je circulais dans le salon, donnant le bras à la vicomtesse de Noailles, lorsque j’aperçus madame Princeteau. Je l’abordai, lui pris la main, et causai avec elle.

Pendant ce temps, madame de Noailles lâchait mon bras et s’éloignait. Elle s’arrêta à quelques pas, auprès de la duchesse de Maillé. Je rejoignis ces dames avec lesquelles j’étais extrêmement liée.

« Nous vous admirons de parler ainsi à madame Princeteau à la face d’Israël.

— Ah ! c’est un courage de débutante ; si elle était ici depuis huit jours, elle n’oserait pas.

— Comment voulez-vous que j’aie l’impertinence de passer à côté d’elle sans lui faire politesse ? je dîne chez son frère demain.

— Cela ne fait rien, on va chez le ministre et on ne parle ni à madame Princeteau, ni même à monsieur Decazes quand on les rencontre ailleurs.

— Jamais je n’aurai cette grossièreté.

— Nous verrons.

— Je vous jure que vous ne verrez pas.

— Hé bien, vous aurez un courage de lion. »

Ces dames avaient raison, car, pour ne point faire une absurde lâcheté, il fallait affronter tout, jusqu’à la mode ! Je me dois la justice de lui avoir résisté. J’ai toujours eu un grain d’indépendance dans ma nature qui s’opposait à ces exigences de coteries.

À propos de coterie, il s’en était formé pendant mon absence une des plus compactes. Elle n’avait rien de politique ni de sérieux, on l’avait appelée, ou elle s’était appelée, le château. Quelques femmes, retenues à Paris pendant l’été, avaient pris l’habitude de passer toutes leurs soirées ensemble, comme elles l’auraient fait dans un château de campagne, et y avaient attiré les hommes