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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Il eut vent le premier de la révélation faite au colonel Pothier et se hâta d’avoir recours au Roi, espérant que la grâce, portée tout de suite, assoupirait cette affaire. Mais Pothier n’était pas homme à prendre la chose si doucement : il déclara qu’il ne voulait pas être gracié ; il ne reconnaissait pas avoir déserté à l’étranger. C’était un acte infamant dont il ne voulait pas laisser la tache à ses enfants.

Monsieur de Girardin eut beau faire ; il ne put empêcher les criailleries et les haines du parti royaliste de se déchaîner contre lui ; mais son talent pour placer les guerrards et faire braconner les œufs de perdrix au profit des chasses royales l’a toujours soutenu en dépit des passions auxquelles, du reste, il a amplement sacrifié par la suite. Il se vantait, dès lors, de n’avoir repris de service auprès de l’Empereur, pendant les Cent-Jours, que pour le trahir et d’avoir conservé une correspondance active avec monsieur le duc de Berry, espèce d’excuse qui m’a toujours paru beaucoup plus odieuse que la faute dont on l’accusait.

Le parti royaliste avait donc bien quelques plaintes rationnelles à faire valoir et il les exploitait avec l’aigreur qui lui est propre. Il acceptait assez volontiers le nom d’ultra-royaliste ; mais, comme monsieur Decazes était devenu sa bête noire, et qu’il avait peine à tolérer les personnes qui conservaient des rapports avec lui, il nous donnait en revanche celui de quasi-royalistes. Les quolibets ne lui ont guère manqué ; celui-ci était assez drôle ; mais souvent il en adopta de grossiers qui semblaient devoir être repoussés par des gens se proclamant les organes exclusifs du bon goût.

J’eus bientôt occasion de voir jusqu’où l’animadversion était portée contre le favori du Roi. Je fis ma rentrée dans le monde parisien à une grande soirée chez madame