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REGRETS D’UNE ULTRA-ROYALISTE

toujours au troisième argument, furent insuffisants. Une prompte retraite était le seul moyen à employer contre ces querelles. J’y avais recours toutes les fois que cela était possible, mais je ne pouvais pas toujours éviter les attaques ; alors il fallait bien répondre, car, si je consentais à fuir avant l’action, mes concessions n’allaient pas au delà. Je ne prétends pas n’avoir point modifié fréquemment mes opinions, mais j’ai toujours eu le courage de celles du moment.

Ce fut bien peu de jours après mon arrivée que, causant sérieusement avec une femme d’esprit, très bonne au fond, qui voulait m’effrayer sur la tendance modérée et conciliante du ministère Richelieu, elle me dit :

« Enfin, voyez, chère amie, les sacrifices qu’on nous impose et combien cela doit exaspérer ! Les Cent-Jours coûtent plus de dix-huit cents millions. Eh bien, que nous a-t-on donné pour tout cela, et encore avec quelle peine ? la tête de deux hommes. »

Je fis un mouvement en arrière.

« Ma chère, réfléchissez à ce que vous venez de dire ; vous en aurez horreur vous-même, j’en suis sûre. »

Elle fut un peu embarrassée et voulut expliquer qu’assurément ce n’était pas dans des idées sanguinaires ni même de vengeance, mais qu’il fallait inspirer un salutaire effroi aux factieux et rassurer les honnêtes gens (car ce sont toujours les honnêtes gens au nom desquels on réclame des réactions) en leur montrant qu’on les protégeait efficacement.

Au fond, le véritable crime du ministère Richelieu était de laisser en repos les fonctionnaires de l’Empire qui remplissaient bien leurs places. Le parti émigré voulait tout accaparer. La Chambre introuvable et son ministre, Vaublanc, avaient travaillé à cette épuration (cela s’appelait ainsi) avec un zèle que la sagesse du cabinet avait