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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

textes. Le fait était que monsieur de Talleyrand, amoureux comme un homme de dix-huit ans de sa nièce, la comtesse Edmond de Périgord, se serait trouvé gêné par la présence de la princesse. On comprend, du reste, qu’il ne fit pas cette confidence à mon père et qu’il chercha d’autres raisons. Cependant cette commission lui était fort désagréable ; il la trouva beaucoup plus facile qu’il ne s’y attendait.

Madame de Talleyrand, malgré sa bêtise, avait un bon sens et une connaissance du monde qui lui firent comprendre que ce qu’il y aurait de plus fâcheux pour le prince et pour elle, serait d’amuser le public de leurs dissensions intérieures. Madame Edmond étant logée dans sa maison, elle ne serait plus tenable pour elle à moins de parvenir à la chasser, ce qui ne pourrait s’accomplir sans scènes violentes. Elle prit donc son parti de bonne grâce et consentit à s’établir pour les étés dans une terre en Belgique, que monsieur de Talleyrand lui abandonna, et à passer ses hivers à Bruxelles.

Elle n’est revenue à Paris que plusieurs années après, lorsque la séparation était trop bien constatée pour que cela fût remarqué. Elle fut très douce, très raisonnable, et pas trop avide dans toute cette transaction où elle joua entièrement le beau rôle. Elle dit à ma mère ces paroles remarquables :

« Je porte la peine d’avoir cédé à un faux mouvement d’amour-propre. Je savais l’attitude de madame Edmond chez monsieur de Talleyrand à Vienne ; je n’ai pas voulu en être témoin. Cette susceptibilité m’a empêchée d’aller le rejoindre, comme je l’aurais dû, lorsque le retour de l’île d’Elbe m’a forcée de quitter Paris. Si j’avais été à Vienne, au lieu de venir à Londres, monsieur de Talleyrand aurait été forcé de me recevoir ; et je le connais bien, il m’aurait parfaitement accueillie. Plus cela l’aurait con-