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LORD ET LADY CASTLEREAGH

Lorsqu’à la fin de 1813 une mission, confiée à Pozzo, l’attira au quartier général des souverains alliés, il savait seulement que le blocus minait l’Angleterre, qu’il fallait abattre la puissance en position de concevoir une pareille idée, ou du moins la mettre hors d’état de la réaliser, et que l’Autriche devait être l’alliée naturelle de l’Angleterre. Il n’en fallait pas davantage pour le livrer à l’habileté du prince de Metternich. Lord Castlereagh est une des premières médiocrités puissantes sur laquelle il ait exercé sa complète domination.

Toujours et en tout temps les affaires anglaises se font exclusivement par les anglais et à Londres ; mais, pour tout ce qui tenait à la politique extérieure, Downing Street se trouvait sous la surveillance de la chancellerie de Vienne ; et je crois que cette situation s’est prolongée autant que la vie de lord Castlereagh.

Lorsque je l’ai connu, il ne donnait aucun signe de la fatale maladie héréditaire qui l’a porté au suicide. Il était, au contraire, uniformément calme et doux, discutant très bien les intérêts anglais, mais sans passion et toujours parfaitement gentlemanlike. Il parlait assez mal français ; une de ses phrases habituelles dans les conférences était : « Mon cher ambassadeur, il faut terminer cela à l’aimable » ; mais, si le mot était peu exact, le sentiment qui l’inspirait se montrait sincère.

Lord Castlereagh avait une grande considération pour le caractère loyal du duc de Richelieu, et la confiance qu’il inspirait a, partout, facilité les négociations dans ces temps de néfaste mémoire.

J’avais connu lady Castlereagh assez belle : devenue très forte et très grasse, elle avait perdu toute distinction en conservant de beaux traits. Elle avait peu d’esprit mais beaucoup de bienveillance, et une politesse un peu banale sans aucun usage du monde.