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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Le spectacle était comme par toute l’Italie : deux bons chanteurs étaient entourés d’acolytes détestables, de sorte qu’il n’y avait aucun ensemble. Mais cela suffisait à des gens qui n’allaient au théâtre que pour y causer plus librement. On écoutait deux ou trois morceaux, et le reste du temps on bavardait comme dans la rue ; le parterre, debout, se promenait lorsqu’il n’était pas trop pressé. Un ballet détestable excitait des transports d’admiration ; les décorations étaient moins mauvaises que la danse.

Les jeunes femmes attendent l’ouverture de l’Opéra avec d’autant plus d’empressement qu’elles habitent toujours chez leur belle-mère et que, tant qu’elles la conservent, elles ne reçoivent personne chez elles. En revanche, la loge est leur domicile et, là, elles peuvent admettre qui elles veulent. Les hommes de la petite noblesse même s’y trouvent en rapport avec les femmes de la première qui ne pourraient les voir dans leurs hôtels. On entend dire souvent : « Monsieur un tel est un de mes amis de loge ». Et monsieur un tel se contente de ce rapport qui, dit-on, devient quelquefois assez intime, sans prétendre à passer le seuil de la maison. L’usage des cavaliers servants est tombé en désuétude. S’il en reste encore quelques-uns, ils n’admettent plus que ce soit à titre gratuit et, hormis qu’elles sont plus affichées, les liaisons n’ont pas plus d’innocence qu’ailleurs.

L’usage en Piémont est de marier ses enfants sans leur donner aucune fortune. Les filles ont une si petite dot qu’à peine elle peut suffire à leur dépense personnelle, encore est-elle toujours versée entre les mains du beau-père ; il paye la dépense du jeune ménage, mais ne lui assure aucun revenu.

J’ai vu le comte Tancrède de Barolle, fils unique