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SALONS DES GRANDES DAMES

seraient-ils moins fiers d’être admis chez la duchesse *** si elle était plus polie.

Chez nous, personne ne supporterait un pareil traitement. J’ai quelquefois pensé que la supériorité de la société française sur toutes les autres tenait à ce que nous établissons que la personne qui reçoit, celle qui fait les frais d’une soirée ou d’un dîner, est l’obligée des personnes qui s’y rendent et que, partout ailleurs, c’est le contraire. Si on veut y réfléchir, on trouvera, je crois, combien cette seule différence doit amener de facilité dans le commerce et d’urbanité dans les formes.

Les immenses raouts anglais sont si peu en proportion avec la taille des maisons qu’ordinairement le trop plein des salons s’étend dans l’escalier et quelquefois jusque dans la rue où les embarras de voitures ajoutent encore à l’ennui de ces réunions. La liberté anglaise (et là je ne reconnais pas la haute judiciaire du pays) n’admet pas qu’on établisse aucun ordre dans les files. C’est à coup de timon et en lançant les chevaux les uns contre les autres qu’on arrive, ou plutôt qu’on n’arrive pas. Il n’y a pas de soirée un peu à la mode où il ne reste deux ou trois voitures brisées sur le pavé. Cela étonne encore plus à Londres où elles sont si belles et si soignées.

Les raouts ont exalté le sentiment que je portais déjà à nos bons et utiles gendarmes ; mon amour pour la liberté a toujours fléchi devant eux. Je me rappelle entre autre les avoir appelés de tous mes vœux un soir où nous fûmes sept quarts d’heure en perdition, prêts à être broyés en cannelle à chaque instant, pour arriver chez lady Hertford. Nous partions de Portman square ; elle demeurait dans Manchester square : il y a bien pour une minute de chemin, lorsqu’il est libre.