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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

société ne présente pas des anomalies choquantes pour l’observateur qui n’y est pas accoutumé ? J’admirais en théorie le respect des anglais pour les hiérarchies sociales, et puis ma sociabilité française s’irritait de les voir en action dans les salons.

Les grandes dames ouvrent leurs portes une ou deux fois dans l’année à tout ce qui, par une relation quelconque mais surtout par celles qui se rapportent aux élections, a l’honneur d’oser se faire écrire chez elles en arrivant à Londres. Cette visite se rend par l’envoi d’une très grande carte sur laquelle est imprimé : la duchesse *** at home, tel jour, à la date de plusieurs semaines. Le nom des personnes auxquelles elle s’adresse est écrit derrière, à la main. Dieu sait quel mouvement on se donne pour en recevoir une, et toutes les courses, toutes les manœuvres, pour faire valoir ses droits à en obtenir.

Le jour arrivé, la maîtresse de la maison se place debout à la porte de son salon ; elle y fait la révérence à chaque personne qui entre ; mais quelle révérence, comme elle leur dit : « Quoique vous soyez chez moi, vous comprenez bien que je ne vous connais pas et ne veux pas vous connaître ! » Cela est rendu encore plus marqué par l’accueil différent accordé aux personnes de la société fashionable.

Hé bien, dans ce pays de bons sens, personne ne s’en choque : chacun a eu ce qu’il voulait : les familiers la bonne réception, les autres la joie de l’invitation. La carte a été fichée pendant un mois sur la glace ; elle y a été vue par toutes les visites. On a la possibilité de dire dans sa société secondaire comment sont meublés les salons de la duchesse ***, la robe que portait la marquise ***, et autres remarques de cette nature. Le but auquel ces invités prétendent est atteint, et peut-être