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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

causent avec un cadet, en revanche, les mères s’agitent sur leurs banquettes et paraissent au supplice.

Sans doute les plus spirituelles dissimulent mieux cet état d’anxiété perpétuel, mais il existe pour toutes. Et qu’on ne me dise pas que ce n’est que dans la classe vulgaire de la société, c’est dans toutes.

En 1816, aucune demoiselle anglaise ne valsait. Le duc de Devonshire arriva d’un voyage en Allemagne ; il raconta un soir, à un grand bal, qu’une femme n’était complètement à son avantage qu’en valsant, que rien ne la faisait mieux valoir. Je ne sais si c’était malice de sa part, mais il répéta plusieurs fois cette assertion. Elle circula et, au bal prochain, toutes les demoiselles valsaient. Le duc les admira beaucoup, dit que cela était charmant et animait parfaitement un bal, puis ajouta négligemment que, pour lui, il ne se déciderait jamais à épouser une femme qui valserait.

C’est à la duchesse de Richemond et à Carlton House qu’il fit cette révélation. La pauvre duchesse, la plus maladroite de ces mères à projets, pensa tomber à la renverse. Elle la répéta à ses voisines qui la redirent aux leurs ; la consternation gagna de banquette en banquette. Les rires des personnes désintéressées et malveillantes éclatèrent. Pendant tout ce temps, les jeunes ladys valsaient en sûreté de conscience ; les vieilles enrageaient ; enfin la malencontreuse danse s’acheva.

Avant la fin de la soirée, la bonne duchesse de Richemond avait établi que ses filles éprouvaient une telle répugnance pour la valse qu’elle renonçait à obtenir d’elles de la surmonter. Quelques jeunes filles plus fières continuèrent à valser ; le grand nombre cessa. Les habiles décidèrent qu’on valsait exclusivement à Carlton House pour plaire à la vieille Reine qui aimait cette danse nationale de son pays. Il est certain que, malgré son exces-