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DÉMARCHES DU DUC DE RAGUSE

visage de bois, le laissa parler aussi longtemps qu’il voulut, sans donner le moindre signe d’intérêt et le congédia sans avoir répondu une parole.

Le maréchal comprit que monsieur de La Valette était perdu. Ignorant les démarches vainement tentées auprès de Madame, il n’espéra qu’en elle. Il courut avertir madame de La Valette qu’il fallait avoir recours à ce dernier moyen. Mais ce danger avait été prévu, tous les accès lui étaient fermés ; elle ne pouvait arriver jusqu’à la princesse.

Le maréchal, qui était de service comme major général de la garde, la cacha dans son appartement et, pendant que le Roi et la famille royale étaient à la messe, il força toutes les consignes et la fit entrer dans la salle des Maréchaux par où on ne pouvait éviter de repasser. Madame de La Valette se jeta aux pieds du Roi et n’en obtint que ces mots : « Madame, je vous plains. »

Elle s’adressa ensuite à madame la duchesse d’Angoulême et saisit sa robe ; la princesse l’arracha avec un mouvement qui lui a été souvent reproché depuis et attribué à une haineuse colère. Je crois que cela est parfaitement injuste. Madame avait engagé sa parole ; elle ne pouvait plus reculer. Probablement son mouvement a été fait avec sa brusquerie accoutumée ; mais je le croirais bien plutôt inspiré par la pitié et le chagrin de n’oser y céder que par la colère. Le malheur de cette princesse est de n’avoir pas assez d’esprit pour diriger son trop de caractère : la proportion ne s’y trouve pas.

La conduite du maréchal fut aussi blâmée parmi les courtisans qu’approuvée du public. Il reçut ordre de ne point reparaître à la Cour et partit pour sa terre. L’officier des gardes du corps qui lui avait laissé forcer la consigne fut envoyé en prison.