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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

le jardin du ministère de l’intérieur, pour la statue de Henri iv, personne, selon lui, ne se tenant à cheval dans une égale perfection. Si ses prétentions s’étaient bornées là, on s’en serait facilement accommodé ; mais il les réunissaient toutes, portées à une exagération sans exemple et manifestées avec une inconvenance incroyable dans sa naïveté.

Quoiqu’elle soit peu digne, même de la macédoine que j’écris, je ne puis me refuser à rapporter une saillie qui a toujours eu le don de me faire sourire. Le bœuf gras se trouva petit et maigre cette année ; on le remarquait devant madame de Puisieux : « Je le crois bien, s’écria-t-elle, la pauvre bête aura trop souffert des sottises de son neveu le Vaublanc. »

C’est cette même madame de Puisieux qui, voyant monsieur de Bonnay, d’une pâleur excessive, se verser un verre d’orgeat, l’arrêta en lui disant : « Ah, malheureux ; il allait boire son sang ! »

Si nous avions vécu dans un temps moins fécond en grands événements, les mots de madame de Puisieux auraient autant de célébrité que ceux de la fameuse madame de Cornuel.

Mon père avait terminé, tant bien que mal, l’affaire relative aux français domiciliés en Piémont, et remis, pour satisfaire au traité de Paris, le reste de la Savoie au roi de Sardaigne.

Le roi Louis XVIII en était aussi joyeux aux Tuileries qu’on pouvait l’être à Turin. Son ambassadeur ne partageait pas cette satisfaction et ce dernier acte de ses fonctions lui fut si désagréable qu’il refusa, même avec un peu d’humeur, le grand cordon qui lui fut offert à l’occasion de cette restitution. À la vérité, mon père espérait alors l’ordre du Saint-Esprit et, si les préjugés de sa jeunesse le lui faisaient désirer avec trop de viva-