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LE DUC DE RICHELIEU

dant pas quitter Turin avant que le sort de nos compatriotes ne fût définitivement fixé. Cette affaire l’y retint quelques semaines. Ce fut dans cet intervalle que je me trouvai dans des rapports fort désagréables avec monsieur de Richelieu.

Dès la première soirée que j’avais passée chez madame de Duras, j’y vis entrer un grand homme d’une belle figure ; ses cheveux gris contrastaient avec un visage encore assez jeune. Il avait la vue très basse et clignait les yeux avec une grimace qui rendait sa physionomie peu obligeante. Il était en bottes et mal tenu avec une sorte d’affectation, mais, sous ce costume, conservait l’air très grand seigneur. Il se jeta sur un sopha, parla haut, d’une voix aigre et glapissante. Un léger accent, des locutions et des formes un peu étrangères me persuadèrent qu’il n’était pas français. Cependant son langage et surtout les sentiments qu’il exprimait repoussaient cette idée. Je le voyais familier avec tous mes amis. Je me perdais en conjectures sur cet inconnu si intime : c’était le duc de Richelieu, rentré en France depuis mon départ.

L’impression qu’il m’a faite à cette première rencontre n’a jamais varié. Ses formes m’ont toujours paru les plus désagréables, les plus désobligeantes possibles. Son beau et noble caractère, sa capacité réelle pour les affaires, son patriotisme éclairé lui ont acquis mon suffrage, je dirais presque mon dévouement, mais c’était un succès d’estime plus que de goût.

Le docteur Marshall, dont j’ai déjà fait mention, arriva un matin chez moi. Il m’apportait une lettre. Elle était destinée à Fouché, alors en Belgique, et contenait, disait-il, non seulement des détails sur une trame qui s’ourdissait contre le gouvernement du Roi, mais encore le chiffre devant servir aux correspondances. Il ne vou-