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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

ne comprenait pas comment le Roi rétabli ne confirmait pas cette nomination. Il en résultait un vernis d’opposition dans son langage dont je m’accommodais très bien. Sa fille, la princesse de Talmont, ne partageait pas sa modération ; son exaltation était extrême, mais elle était si jeune et si jolie que ses folies même avaient de la grâce. Elle avait épousé à quinze ans, en 1813, le seul héritier de la maison de La Trémoïlle. Aussi Adrien de Montmorency disait-il que c’étaient des noces historiques et que sa grossesse serait un événement national. Les fastes du pays n’ont pas eu à le recorder ; monsieur de Talmont est mort en 1815 sans laisser d’enfant. Le duc de Duras s’écriait le jour de l’enterrement :

« Il est bien affreux de se trouver veuve à dix-sept ans quand on est condamnée à ne pouvoir plus épouser qu’un prince souverain. » La princesse de Talmont a dérogé à cette nécessité, mais c’est contre la volonté de son père et même de sa mère.

La mort du prince de Talmont n’avait été un chagrin pour personne, mais notre coterie fut profondément affectée par la catastrophe arrivée dans la famille La Tour du Pin.

Hombert de La Tour du Pin-Gouvernet avait atteint l’âge de vingt-deux ans. Il était fort bon enfant et assez distingué, quoique une charmante figure et un peu de gâterie de ses parents lui donnassent l’extérieur de quelque fatuité. Dans ce temps de désordre où on s’enrôlait dans les colonels, suivant l’expression chagrine des vieux militaires, Hombert avait été nommé officier d’emblée et le maréchal duc de Bellune l’avait pris pour aide de camp. On ne peut nier que ces existences de faveur ne donnassent beaucoup d’humeur aux camarades dont les grades avaient été acquis à la pointe de l’épée.

Hombert eut une discussion sur l’ordre de service avec