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SALON DE LA DUCHESSE DE DURAS

gaire animal du nom de Mackenzie, intendant ou, comme cela s’appelle en anglais, payeur de l’armée. On parlait sérieusement et tristement de la difficulté qu’éprouverait la France à acquitter les énormes charges imposées par les étrangers.

« Ah bah, reprit-il avec un gros rire, on crie un peu puis cela s’arrange. Je viens de Strasbourg ; j’y ai passé le jour même où le général prussien avait frappé une contribution qu’on disait énorme, on avait payé. Eh bien ! tout le monde dînait. »

Je l’aurais tué d’un regard.

Le duc de Duras, premier gentilhomme de la chambre, se trouvait d’année (de toutes les places de la Cour, c’était la seule dont le service ne se fit pas par trimestre) ; madame de Duras logeait aux Tuileries. Liée avec elle d’ancienne date et n’ayant pas d’établissement en ce moment, je passais ma vie chez elle. Sa situation la forçait à recevoir de temps en temps beaucoup de monde, mais journellement son salon n’était ouvert qu’à quelques habitués. On y causait librement et plus raisonnablement qu’ailleurs. Probablement les discours que nous tenions nous étonneraient maintenant. S’ils nous étaient répétés, nous les trouverions extravagants, mais c’étaient les plus sages du parti royaliste.

Madame de Duras avait beaucoup plus de libéralisme que sa position ne semblait en comporter. Elle admettait toutes les opinions et ne les jugeait pas du haut de l’esprit de parti. Elle était même accessible à celles des idées généreuses qui ne compromettaient pas trop sa position de grande dame dont elle jouissait d’autant plus vivement qu’elle l’avait attendue plus longtemps.

Elle ne se consolait pas de l’exclusion donnée à monsieur de Chateaubriand au retour de Gand. Son crédit l’y avait fait ministre de l’intérieur du Roi fugitif, et elle