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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

monsieur de Talleyrand. Il m’accueillit pourtant très gracieusement et, lorsque je lui annonçai que, vers la fin du mois, je prendrais ses ordres pour Turin, il m’engagea à ne pas presser mes paquets. Je compris qu’il s’agissait d’une nouvelle destination pour mon père, mais je n’osai pas m’en informer.

J’ai toujours eu une extrême timidité vis-à-vis des gens en place, et je ne puis les supporter que lorsque j’ai la certitude morale de n’avoir jamais rien à leur demander. Tant que mon père était employé, je me trouvais dans une sorte de dépendance qui m’était pénible vis-à-vis d’eux, malgré la bienveillance qu’ils me témoignaient.

Notre héros, le duc de Wellington, se fit l’exécuteur des spoliations matérielles imposées par les Alliés. Sous prétexte que les anglais n’avaient rien à réclamer en ce genre, il trouva généreux d’aller de ses mains triomphantes décrocher les tableaux de nos musées. Ceci ne doit pas être pris comme une forme de rhétorique, c’est le récit d’un fait. On l’a vu sur une échelle, donnant lui-même l’exemple. Le jour où l’on descendit les chevaux de Venise de dessus l’arc du Carrousel, il passa la matinée perché sur le monument, vis-à-vis les fenêtres du Roi, à surveiller ce travail. Le soir il assista à une petite fête donnée par madame de Duras au roi de Prusse. Nous ne pouvions cacher notre indignation ; il s’en moquait et en faisait des plaisanteries. Il avait tort pourtant ; notre ressentiment était légitime et plus politique que sa conduite. Les étrangers étaient présentés comme alliés ; ils avaient été accueillis comme tels ; leurs procédés retombaient sur la famille régnante.

La conduite du duc donnait le signal aux impertinences des sous-ordres. Le sang bout encore dans mes veines au propos que j’entendis tenir à un certain vul-