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MADAME MATHIEU DE MONTMORENCY

rayon de soleil ; tout ce que nous étions là en fûmes frappés et certainement, dans un siècle plus croyant, nous l’aurions vu entouré d’une auréole de lumière divine.

J’ai toujours beaucoup aimé Mathieu et je l’ai pleuré. Mais ses amis doivent-ils regretter qu’il ait ainsi fini de la mort du juste, dans un moment où il était si entouré d’intrigues et d’intrigants qu’il aurait pu difficilement éviter de ternir sa vie ? Déjà sa liaison avec madame du Cayla était une tache.

Le désespoir de la duchesse Mathieu fut très violent. Dans cette âme si sèche, il n’y a place que pour la passion. C’est une singulière personne. Elle ne manque pas d’une espèce d’esprit, raconte assez drôlement et compte merveilleusement ses écus. Comme ce qu’elle a toujours aimé le mieux c’est l’argent, elle suppose que Dieu partage ce goût. Lorsqu’elle souhaite quelque chose, elle s’en va au pied des autels et promet au bon Dieu une somme plus ou moins forte selon l’importance de l’objet. Si son vœu est exaucé, elle paie consciencieusement ; mais aussi elle ne donne rien lorsqu’elle n’a pas réussi. Ainsi la seconde Restauration de 1815 lui a coûté trente mille francs. Elle en avait promis cinquante si Mathieu guérissait ; elle ne les a point payés. Elle fait aumône de la partie de son bien exigée par l’Évangile, mais avec des restrictions tout à fait comiques et sans qu’il y ait jamais le moindre entraînement. Elle prétend être née avec les dispositions les plus mondaines, les goûts les plus vifs à la dissipation et avoir été obligée d’étrangler ses passions, faute de pouvoir les conduire. Elle a survécu à sa fille, aussi bien qu’à son mari, et s’occupe à diriger des établissements religieux qu’elle a fondés.

Monsieur regretta fort Mathieu. Madame était extrêmement refroidie pour lui : elle ne lui pardonnait pas