Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome III 1922.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
LA REINE DE SUÈDE

sait envoyer le pareil. C’était surtout pour des fleurs qu’il faisait porter quelquefois chez une femme à laquelle il était attaché que la reine exerçait cette innocente filouterie. Elle racontait naïvement alors qu’elle se faisait l’illusion de croire ces fleurs choisies pour elle, quoiqu’elle sût fort bien leur destination.

Monsieur de Richelieu avait besoin d’exercice et allait assez souvent au jardin des Tuileries ; la reine y accourait, mais elle remarquait que sa présence en chassait le duc et regrettait de le priver de sa promenade.

Un jour, elle arriva toute radieuse chez madame Récamier. Elle avait fait un arrangement avec ses marchands pour avoir chaque jour un costume de forme et de couleur différentes. Monsieur de Richelieu, la reconnaissant de moins loin, ne détournait la tête qu’après qu’elle avait eu le bonheur d’envisager sa figure un instant. Une fois même où il causait avec animation, elle lui avait escamoté une révérence en passant très près de lui, et lui en faisant une qu’il lui avait rendue avant de la reconnaître.

Elle était accourue, transportée, raconter ce triomphe à madame Récamier dont je tiens ces détails. Celle-ci avait fait de vains efforts pour rappeler un peu de dignité féminine dans le cœur de la reine de Suède en lui reprochant des empressements si constamment rebutés, car la répulsion devenait aussi exaltée que la poursuite et frisait la brutalité. Mais elle l’aimait ainsi, et même un peu farouche, et toute l’éloquence de madame Récamier pâlissait devant cette étrange fantaisie.

Quant à monsieur de Richelieu, il en était importuné jusqu’au courroux. Tout consciencieux qu’il était d’employer les moyens de l’État à son service particulier, je me persuade qu’il ne résista pas à faire insinuer à Stockholm combien la reine y serait plus convenablement établie